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LES HOMES EN
CROISADE
A. Les petites gens
Les chrétiens de l'époque veulent se rendre sur les lieux où
le Christ a vécu. Faire un pèlerinage qui les mènera sur la terre
sainte en Palestine suscite un enthousiasme extraordinaire au sein de la
population chrétienne du Moyen Age. Les premières personnes à partir en
croisade sont des pauvres qui décident d'aller délivrer le tombeau du
Christ.
Avant même que la première croisade ne soit proclamée
officiellement, une foule de pauvres gens se met en route : enfants,
vieillards, femmes, paysans, ... A leur tête, un prédicateur fervent :
Pierre l'Ermite. Aujourd'hui encore, la réalité historique et la
légende née autour de cet homme s'entremêlent. Le témoignage de
Guibert de Nogent
qui l'a connu décrit l'homme ainsi :
"Je l'ai vu emplir les villes et les bourgs par le succès de
sa prédication et entouré d'une telle foule, comblé de tant de présents,
acclamé d'un tel renom de sainteté, que je ne me souviens pas que
personne ait reçu semblable honneur ... En tout ce qu'il faisait ou
disait, il semblait toujours animé de quelque chose de divin."
Très vite la légende s'empare de ce petit homme "qui portait
une tunique de laine, un capuchon de bure, un manteau qui lui battait
les talons et qui marchait pieds nus, sans chausses".
De nombreuses chansons de geste et des épopées le transforment en noble,
en guerrier valeureux, ...
Il est en tout cas probable que son éloquence a marqué tout ce peuple.
Pierre l'Ermite
prend donc la tête de la première expédition en Terre sainte grâce au
succès de sa prédication. Les historiens actuels évaluent à environ
vingt mille le nombre de personnes qui le suivent. Pour comprendre
l'impact que l'homme exerce sur ces paysans, il faut se rappeler qu'à
l'époque, la guerre était réservée aux nobles. Enfin quelqu'un
proposait aux plus pauvres de se transformer en combattants et d'aller
accomplir le devoir le plus digne pour un chrétien : délivrer le tombeau
du Christ !
Tout au long de la croisade, on verra même les plus pauvres
affronter les barons qui ne pensent qu'à s'enrichir et leur rappeler le
but sacré de leur expédition. Durant la troisième croisade, le peuple
s'indignera face aux disputes qui divisent les rois d'Angleterre et de
France.
Les plus fervents ne conçoivent pas que les souverains se
détournent de la sorte de leur voeu au profit de leur ambition
personnelle. Durant les croisades, des mouvements populaires et
spontanés se succéderont faisant dire aux historiens les plus récents
que l'idée même de croisade ne peut être dissociée de celle de pauvreté.
b.
Les femmes
Qu'elles choisissent de partir en croisade avec leur mari ou
qu'elles restent, les femmes se montrent souvent courageuses et font
preuve d'une attitude pleine d'abnégation.
Les soldats qui partent en croisade ont besoin de servantes
et de vivandières pour les accompagner. Lors du siège d'Antioche, les
femmes aident les hommes en les ravitaillant en eau :
"Nos
femmes, ce jour-là, nous furent d'un grand secours en apportant de l'eau
à boire à nos combattants et aussi en ne cessant de les encourager au
combat et à la défense."
L'ANONYME
Certaines d'entre elles participent même aux combats en profitant de ce
que l'armure les faisait passer pour des hommes. Les chroniqueurs
arabes citent quelques cas de femmes "fanatiques" qui se sont illustrées
lors de batailles, soit à pied, soit à cheval. Les récits parlent de
Florine, fille du duc de Bourgogne, qui se bat aux côtés de son fiancé
et qui meurt avec lui. L'historien arabe Beha-al-Din nous parle de la
"femme à la mante verte" qui fait preuve d'un tel courage lors du siège
d'Acre, qu'après sa mort, les musulmans, admiratifs, offrent son arc à
Saladin.
Aux femmes qui n'accompagnaient pas leur mari en Terre
sainte incombait la lourde tâche d'administrer seules leur fief. Ainsi
Adèle de Blois, la fille de Guillaume le Conquérant, qui s'occupe de
l'administration du domaine de son mari et de l'éducation de ses
enfants. L'histoire émouvante de Hugues de Vaudémont et de sa femme,
Anne de Lorraine, nous est livrée par une sculpture représentant les
deux époux. Après une absence de seize ans en Terre sainte, le croisé
revient et sa femme l'accueille. Elle avait toujours refusé de se
remarier même si son mari passait pour mort. La sculpture se trouve sur
la tombe où reposent côte à côte les deux époux.
Les unions avec les femmes indigènes ne sont pas rares et de nombreux
mariages seront célébrés entre les chevaliers francs et les Sarrasines.
Les Francs ne semblent pas se préoccuper de problèmes raciaux à
condition que leurs femmes soient chrétiennes ou acceptent de se
convertir. De nombreux mariages servent également de prétexte à
différentes alliances dans le royaume de Jérusalem.
c.
Les chevaliers
La chevalerie naît au XIe siècle. Il s'agit
avant tout d'un système de pensée qui défend certaines valeurs :
l'honneur, la force, le secours aux plus démunis, ... Des éléments
chrétiens, militaires et aristocratiques cimentent cet idéal. Les
nobles chevaliers se distinguent par le port d'un blason. Le métier des
armes, ainsi que l'art du combat à cheval, se transmettent de père en
fils. Les chevaliers qui partent en croisade expriment, par cet acte,
les valeurs du christianisme.
Dans la littérature (les chansons de geste,
les épopées) et la tradition populaire, les chevaliers sont adorés et
mystifiés, mais en réalité, qui étaient les Godefroi de Bouillon,
Bohémond de Tarente et Renaud de Châtillon ?
Les musulmans surnommaient les chevaliers francs "les hommes de fer".
Les armées de croisés revêtus de leur armure métallique brillant sous le
soleil de Jérusalem devaient leur offrir un spectacle surnaturel. Ces
protections métalliques qui les empêchaient d'atteindre les chevaliers
avec leurs flèches démoralisaient probablement les Arabes qui ne
possédaient pas beaucoup d'autres moyens pour combattre.
Les armées de croisés sont souvent organisées et
disciplinées. Les arbalétriers et les archers qui marchent devant
forment une sorte de rideau défensif.
L'arrière-garde, souvent occupée par des Templiers, est chargée d'éviter
les tentatives de prise à revers. Au moment opportun, le seigneur
chargé de la manoeuvre, donne l'ordre de charger. Les fantassins, en
première ligne, s'écartent pour laisser la place aux chevaliers qui se
précipitent au galop, leur lance à la main. Cette tactique de combat
surprend plus d'une fois les musulmans qui ont l'impression de voir un
mur arriver devant eux. Pour gagner une bataille, les troupes devaient
former une masse compacte et cohérente, car il était très risqué de
laisser des intervalles entre les rangs de soldats.
D. LES FRANCS VUS PAR LES ORIENTAUX
"Religion, que de crimes
on commet
en ton nom !"
A. MAALOUF
Le regard que posent les Orientaux sur ces "envahisseurs à la longues
chevelure blonde" est souvent empreint de stupeur et d'horreur. Dès
leur apparition à Byzance, ils se signalent par leur brutalité et leur
grossièreté. Les hordes de combattants qui arrivent à Constantinople en
1096 surprennent les Byzantins qui ne sont pas mécontents de les voir
partir. Le fille de l'empereur Alexis Ier Comnène, raconte
le passage des Occidentaux dans son pays :
"C'était
l'Occident entier, tout ce qu'il y a de nations barbares habitant le
pays situé entre l'autre rive de l'Adriatique et les Colonnes d'Hercule,
c'était tout cela qui émigrait en masse. (...)"
Anne COMNENE, Alexiade, X.
"Quand
tous furent réunis, y compris Godefroi lui-même, et que le serment eut
été prêté par chaque comte, un noble eut l'audace de s'asseoir sur le
siège du basileus. Le basileus le souffrit sans mot dire, car il
connaissait depuis longtemps la nature arrogante des Latins. (...)"
op. cit.
Les Arabes, frappés de stupeur, découvrent le comportement
et les moeurs de ces "barbares". Ceux-ci inspirent le mépris à une
civilisation arabe culturellement supérieure.
"Tous ceux qui se sont renseignés sur les Franj ont vu en eux des bêtes
qui ont la supériorité du courage et de l'ardeur au combat, mais aucune
autre, de même que les animaux ont la supériorité de la force et de
l'agression."
Oussama Ibn Mounqidh
Le comportement des Francs et les exactions qu'ils commettent atteignent
parfois le comble de l'horreur.
"La population de la ville sainte fut passée au fil de
l'épée, et les Franj massacrèrent les musulmans pendant une semaine.
Dans la mosquée al-Aqsa, ils tuèrent plus de soixante-dix mille
personnes."
IBN AL-ATHIR.
"Bien des
gens furent tués. Les juifs furent rassemblés dans leur synagogue et
les Franj les y brûlèrent vifs".
IBN AL-QALANISSI.
S'il est clair que les chiffres relatifs au nombre de victimes sont
fantaisistes (Jérusalem comptait environ dix mille personnes avant les
massacres), l'horreur réside moins dans le nombre des victimes que dans
le sort réservé à la population locale. Les témoignages de chroniqueurs
arabes sont corroborés par ceux de chroniqueurs francs.
"Toutes les rues, toutes les places étaient couvertes de
monceaux de mains, de têtes, de pieds. On foulait des cadavres d'hommes
et de chevaux. Ce sont là les moindres horreurs ... Vous ne me
croiriez pas si je disais tout ce que j'ai vu ..."
Raymond
D'AGUILERS sur la chute de
Jérusalem en 1099.
"... Le sang coula en si grande quantité qu'il forma des ruisseaux dans
la cour royale et que les hommes y trempaient leurs pieds jusqu'aux
talons ... Craignant la mort et frappées de terreur à la vue de cette
boucherie, les femmes et les jeunes filles se jetaient vers les pèlerins
pendant qu'ils massacraient (...) suppliant des les épargner, en
pleurant et en se lamentant. Les petits enfants, voyant la triste fin
de leurs parents, augmentaient l'horreur de ces scènes par leurs cris
horribles et leurs larmes amères. Mais c'était inutilement qu'on
implorait la pitié des chrétiens; leur âme était si complètement livrée
à la fureur du carnage qu'ils tuèrent tout et que pas un enfant à la
mamelle ne fut épargné. Toutes les places de Jérusalem furent couvertes
de monceaux de cadavres, de femmes, d'hommes et d'enfants."
Albert d'AIX.
Dans la ville de Maara, en Syrie, les croisés se livrent
même à des actes de cannibalisme. Sur ces événements, les témoignages de
chroniqueurs occidentaux (Histoire anonyme de la première croisade)
convergent avec les témoignages des Arabes. Mais seuls les Occidentaux
parlent de cannibalisme.
"A Maara, les nôtres faisaient bouillir des païens adultes
dans les marmites, ils fixaient les enfants sur des broches et les
dévoraient grillés."
Raoul de CAEN.
"Les nôtres ne répugnaient pas à manger non seulement des Turcs et des
Sarrasins tués mais aussi des chiens."
Albert d'AIX.
A la lumière de ces témoignages, faut-il en déduire que les
Francs étaient tous animés par une sauvagerie inouïe? Doit-on
penser que l'Occident "barbare" avec son cortège de violences et de
massacres soit venu entacher l'Orient de ses
horreurs ? Lorsque l'on étudie une période de l'Histoire en essayant
de découvrir les événements qui l'ont jalonnée, il faut éviter les
pièges de l'anachronisme. L'historien ou plus modestement, l'étudiant
qui effectue des recherches, doit se garder de toute vision simpliste.
Période souvent méprisée, ignorée, les clichés et les idées reçues sur
le Moyen Age abondent. Régine Pernoud, dans son livre Pour en finir
avec le Moyen Age, remet en cause toute une série d'idées erronées
concernant pratiquement mille ans d'histoire ! L'historienne démontre,
par une foule d'exemples, que le Moyen Age regorge de richesses et de
beautés tant au point de vue esthétique que littéraire. Non, ces hommes
n'étaient pas tous "frustes et ignares" !
Pour en revenir à nos "chevaliers blonds" et à leurs
moeurs, il est nécessaire de les replacer dans le contexte
socio-culturel de l'époque. Les multiples invasions des Hongrois et des
Scandinaves (IXe et Xe siècles) ont plongé
l'Europe dans un profond désarroi. La terre, seule source de richesse,
doit être absolument protégée. L'insécurité oblige les plus faibles à
chercher un protecteur. Période certes troublée, peut-on toutefois
affirmer que la violence engendrée par l'insécurité soit l'apanage du
Moyen Age ?
La foi anime probablement un grand nombre de croisés qui
partent délivrer le tombeau du Christ. La tolérance (qu'elle touche à
la religion ou à la pensée) n'était pas une valeur défendue comme
aujourd'hui. Les chrétiens de l'époque n'imaginaient pas la coexistence
de deux religions possible. Il ne faut pas confondre les exactions
commises par des hordes sanguinaires avec la plupart des expéditions
menées en Terre sainte.
Malgré toutes ces réflexions, il n'en demeure pas moins que
les croisades menées par les Occidentaux furent perçues très
négativement par les Orientaux et que certains actes commis par les
Francs (fussent-ils inspirés par une foi sans limite) sont condamnables.
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